jeudi 24 juillet 2008

La prospérité économique de Bruges au XVe.



« Le commerce forme la base de la croissance et de la prospérité des pays bas au XVe et XVIe siècles, particulièrement dans le noyau que forme les provinces de Flandre, de Brabant et de Hollande. La position géographique des Pays bas est un atout. Au carrefour de la mer Baltique et de l'Atlantique, grâce à la mer du Nord, et situé au débouché de grandes voies terrestre (venant d'Italie via l'Allemagne) et fluviales (estuaires du Rhin et de la Meuse en Zélande, et de l'Escaut en Brabant), ils drainent le commerce international grâce à leur ports et aux foires de brabant (Anvers, Bergen-op-Zoom).Ils bénéficient du déplacement des grands Pôles économique qui commence à s'opérer, depuis les grandes Découvertes, de la Méditerranée vers l'atlantique. Aussi deux espaces portuaires des Pays-Bas dominent le commerce international en Europe du Nord : Bruges tout d'abords puis Anvers [...]. »1

Bruges est une plaque tournante du commerce international jusque les années 1460, on y rencontre alors aux cotés des marchands flamands de nombreux autres marchands de différentes parties de l'Europe regroupés alors en ''nations'' et protégés par des privilèges. Lorsque le duc de bourgogne Philippe le bon fait son entrée dans Bruges en 1440, on dénombre 136 marchands de la ligue hanséate, 48 Castillans, 150 Italiens (Venise, Milan, Gênes, Florence et Lucques) des Catalans et des Portugais. On y trouve également des français (vins, sel), des Écossais, et bien sur des Anglais. C'est au passage avec ceux-ci, sans oublier les marchands de la Hanse que les échanges sont quantitativement les plus important.

Nombreux sont ceux qui saluent la prospérité de Bruges : « Des visiteurs Bohémiens et espagnols, et Philippe le Bon lui même, témoignèrent que Bruges était l'un des premiers marchés d''Europe qui dominait le Nord de l'Europe plus encore que Venise ne dominait la Méditerranée. Les visiteurs s'étonnaient des quantités de marchandises précieuses et exotique proposées : l'ivoire, l'ambre, les fourrures, le sucre des Canaries, les fruits du sud, les épices d'orient et les produits raffinés des Pays-Bas méridionaux ».

Ce XVe siècle alors si difficile pour le royaume de France est sans conteste l'âge d'or de la ville, le volume du commerce des Pays-Bas double des environs de 1400 à ceux de 1475, et la population de Bruges passe de 1400 à 1500, de 20.000 habitants à 30.000 habitant. Avec ses 20.000 habitants elle est au regard des autres villes européennes une grande ville, et seules les capitales avec leur 50.000 ou 100.000 habitants dépassent alors les villes de Flandre. Cette région qui compte aux moyen-âge prés de 34 pour 100 de citadins, est l'un des ensemble les plus urbanisé d'Europe avec l'Italie du Nord, le bassin Londonien et la vallée du Rhin.

C'est à Bruges au fait de sa prospérité que nait la première Bourse (1453), celle-ci alors installé dans la demeure des courtiers Van der Buerse, permet de faciliter les transactions commerciale et financières. En outre la présence de nombreux et riches étrangers permet aux changeurs, courtiers ou aubergistes de faire d'importants bénéfices et d'encourager notamment l'essor des banques et services. Depuis le XIVe siècle le système bancaire, facilite le commerce grâce aux lettres de change, qui permettent a la fois des transfert de capitaux à travers toute l'Europe, mais également de fournir des crédits (pratique d'usure interdite par l'église) en manipulant le cour des devises. Le système bancaire se développe durant cette période dans des proportions jusqu'alors inconnues. L'ascension extraordinaire des banquiers Florentins, les Médicis, qui disposent de filiales à travers toute l'Europe et notamment à Bruges (le fameux banquier Portinari), en est un excellent exemple.

Enfin, concernant la production artistique, les foires de Bruges deviennent avec celles d'Anvers, des places importante du commerce de l'art. Si au tout début du XVe siècles les commandes artistiques étaient restées l'apanage du haut clergé, du patriciat urbain ou encore des guildes et confréries, le développement économique et le déplacement de la cour des ducs de Bourgognes vers la Flandres changent sensiblement le visage du mécénat.

Bien que le haut clergés et les confréries ne cessent pas de commanditer des œuvres pour orner églises et hôpitaux, de nouveaux types de commanditaires apparaissent : financiers étrangers, officiers princier et hauts fonctionnaires Bourguignons, dont le nombre croit a mesure que l'état se centralise.

C'est cette mutation stimulante, qui se trouve à l'origine de la transformation des Pays-bas méridionaux en un foyer culturel et artistique de première valeur. Le nombre des artistes Hollandais ayant quitté les provinces septentrionales pour la riche ville de Bruges reflète bien l'attraction que celle-ci exerce sur les autres provinces. La ville, dotée d'une nébuleuse d'ateliers et d'une riche clientèle agit comme un aimant, ce que tend à démontrer l'assez forte proportion de migrants dans les quatre-vingts neuf nouveaux maître que la ville reçoit de 1453 à 1500. Il suffit de citer quelques-un des peintres renommé ayant travailler à Bruges pour s'en rendre compte, Jan van Eyck est né à Maaseik, Thierry Bouts à Haarlem, et Hans Memlinc à Seligenstadt.

L'une des illustrations les plus célèbre de la richesse des Pays-Bas dans la littérature Française, se trouve dans l'œuvre de Commynes : « Pour lors avoient les subjets de cette maison de burgongne grandes richesses, à cause de la longue paix qu'ils avoient eue, pour la bonté du prince soubs qui ils vivoient; lequel peu tailloit ses subjets, et me semble que pour lors, ses terres se pouvoient mieux dire terres de promission que nulles autres seigneureries qui fussent sur la terre. Ils estoient comblés de richesses et en grand repos, ce qu'ils ne furent oncques puis, et y peut bien avoir vingt-et- trois ans que cecy commença : les dépenses et habillemens d'hommes et de femmes, grands et superflus; les convis et banquets plus grands et plus prodigues qu'en nulle autres lieu, dont j'aye eu connaissance; les baignoiries, et autres festoyemens avec femmes, grands et désordonnés, et à peu de honte. »2a Quelques livres plus tard, l'auteur devait renchérir : « [...]je cuide avoir vu et connu la meilleure part de l'Europe; toutefois n'ay je connu nulle seigneurie, ni pays, tant pour tant, ni de beaucoup plus grandes estendue encore, qui fut tant abondant de richesses, en meubles, et en édifices et aussi en toutes prodigalités, dépenses, festoyement, chéres, comme je les ay vus, pour le temps que j'y estois. »2. Voilà donc en quels termes notre génie ''Français'' s'exprimait dans les années 1489-1490, alors qu'il dictait ses premiers livres .

Si le célèbre conseiller de Charles le Téméraire qualifie les Pays-Bas de « terres de Promission »3, la réalité doit être grandement nuancée. Il ne faudrait pas se laisser abuser par les fastes et splendeurs que la production artistique du temps a pu nous laisser. Si effectivement la noblesse, les élites marchandes ou encore le haut clergé se complaisent dans une richesse outrancière avec le souci de se démarquer du peuple, l'abondance était loin de régner. La « répartition [inégale] des revenus entre les différents groupes sociaux »4 est très accusée et se manifeste dans un monde touché par une stagnation, voir une régression économique générale. La crise du textile et les fortes dévaluations monétaires (1416-1433, 1474-1496) doivent y avoir jouer leur rôle.


L'industrie textile (grandes draperies de laine) bien avant le XVe siècle contribuait déjà au développement économique de villes flamandes comme Tournai, Gand ou Ypres. Toutefois dès le XIVe siècles, celles-ci durent se reconvertir face à la concurrence de la draperie anglaise meilleure marché. Cela n'est pas sans ironie si l'on songe que c'est principalement en raison de la demande en laine des manufacturiers flamands que l'Angleterre avait d'abords amorcé une reconversion de ces anciens labours en prairies. Cette invasion de draps anglais sur le continent, dont les Pays-Bas méridionaux devaient tant souffrir jusqu'au XVIIe siècle, est le résultat non seulement de l'extension des prairies déjà évoqué, mais également du caractère particulier de la production anglaise. La production textile insulaire restait en effet rurale, à l'inverse des villes spécialisés d'Artois ou de Flandres dans lesquelles jusqu'à 60 pour 100 de la population active d'une ville pouvait travailler dans le secteur du draps. Cette concentration peut s'expliquer par le fait que les villes n'avaient pas hésité, à force d'influence et de pouvoirs, à éliminer à peu près l'industrie villageoise à de très rares exceptions prés (exemptions seigneuriales contre paiement). Enfin, si la couronne anglaise levait de lourdes taxes sur l'exportation de laine, elle exemptait presque totalement celles du draps.

C'est à la production textile des pays-bas de draperie légère, sayetterie (sayes, serges, ostades) que le Bruges doit, entre autres choses, sa prospérité. Les laines de qualité inférieures nécessaires à la nouvelle draperie étaient en effet importées d'Angleterre, d'Écosse et de plus en plus de Castille via le port de Bruges. Toutefois si la cité profitait du flux généré par l'industrie textile, elle même à l'intérieur de ses murs voyait son industrie pénalisé à la fois par les règlements des corps de métiers et les lourdes taxes municipales. C'est pour éviter des coûts de production trop élevé, que par un curieux retour des choses, les entrepreneurs privilégièrent dorénavant les petites villes et la campagne environnante. Une campagne où par ailleurs, cette nouvelle activité providentielle permit de faire entrer du numéraire dans les foyers paysans. Cette nouvelle répartition de la production dont les effets bénéfiques sur l'exportation furent éphémères, obligea Bruges, comme d'autres villes, à consacrer une partie de son industrie aux objets d'art et de luxe à destination de la cour des Bourguignons, du clergé ou des élites marchandes. Aussi note t-on un développement sensible de la tapisserie à Bruges durant le XVe siècles, ou le nombre de tapissiers double par rapport au XIVe siècle. De même dans la confrérie de saint Jean, qui rassemblait à Bruges des libraires et des scribes, le nombres de membres passa d'une cinquantaine au milieu du XVe à soixante dix, vingts ans plus tard.

Néanmoins à partir de 1480, Bruges décline peu à peu face à Anvers. Au XIVe siècle les foires d'Anvers concurrençaient déjà Bruges, au point que cette dernière avait vainement tenté de les faire interdire à partir de 1430. Mais c'est l'ensablement du Zwin, par lequel la ville est relié avec la mer qui constitue le point final de ce déclin. Toutefois cet ensablement ne peut être considéré comme le seul facteur ayant mit un coup d'arrêt à l'activité de Bruges. La ville se trouvait en perte de vitesse depuis les années 1460, et le conflit entre la Flandre et Maximilien, empira largement la situation provoquant le départ des Marchands hanséates (1484 puis 1488), suivis d'autres nations. Ce départ à eut bien évidement des répercutions sur les autres secteurs, et c'est sans étonnement que l'on voit Gérard David comme d'autres quitter Bruges en 1515 pour Anvers. « Le blocus, l'insécurité militaire et l'étroitesse d'esprit de ses marchands ont [pénalisé] Bruges au profit d'Anvers »4.



1. Catherine Denis, Isabelle Paresys. Les Anciens pays-Bas à l'époque moderne (1404-1815).
2.
Commynes. Mémoires sur Louis XI, livre cinquième, chap IX. P.380. Éditions Gallimard 1979.
2a.
Commynes. Mémoires sur Louis XI, livre premier, chap II. P45. Éditions Gallimard 1979.

3. Maximiliaan P. J. Martens. in Les Primitifs flamands et leur temps. La clientèle du peintre. P176. editions la renaissance du livre. Bruxelles. 1997.
4.
Raymond Van Uytven. In Les Primitifs flamands et leur temps. Le grand héritage. P30.




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